5 – Une invasion de fermiers en Europe ?

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La Dent Bleue – L’histoire des vikings
La Dent Bleue – L’histoire des vikings

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Dans le podcast La Dent Bleue – L’histoire des vikings, Maxime Courtoison vous guide à travers les mers et les fleuves européens pour vous faire vivre l’histoire des vikings. L’émission est une narration orale et chronologique de l’histoire des vikings, des premiers peuplements de Scandinavie jusqu’à la dernière expédition viking, accompagnée de connaissances sur la mythologie nordique, la culture et les légendes de la Scandinavie ancienne.

5 – Une invasion de fermiers en Europe ?
byMaxime Courtoison

Découvrez comment l’agriculture a radicalement transformé l’Europe néolithique. Était-ce une invasion massive de fermiers ou une adoption culturelle par les chasseurs-cueilleurs locaux ? Plongez dans les dernières découvertes de la génétique pour comprendre ce tournant historique majeur.

Retrouvez ici script complet, cartes, sources et crédits musicaux :
https://ladentbleue.fr/transition-neolithique-europe-scandinavie

Bonjour. C’est Maxime Courtoison. Bienvenue sur le podcast “La Dent Bleue, l’histoire des vikings”. Épisode 5 : “Une invasion de fermiers en Europe ?”

Ce podcast est un voyage dans le temps pour explorer l’histoire des vikings. Cette émission est chronologique et vous la comprendrez mieux en écoutant les épisodes dans l’ordre, à partir du premier. Nous commençons notre histoire bien avant la période viking, afin de comprendre les mécanismes et événements qui ont fait prendre la mer à des milliers de Scandinaves en soif de richesses et de prestige.

Invention de l’agriculture et arrivée en Europe

Dans cet épisode, nous allons raconter l’histoire de la Scandinavie au début du néolithique, c’est-à-dire de -4 000 à -3 500. Mais revenons un peu en arrière. Lors de ses quelques centaines de milliers d’années d’existence, l’humain moderne, homo sapiens a vécu en chasseur-cueilleur. Mais vers -9 500, une révolution intervient au Proche-Orient : des humains domestiquent des espèces végétales et animales, inventant ainsi l’agriculture (Douglas Price, 2015, p. 108; Siiriäinen, 2008, p. 48). Un tournant dans l’histoire de l’humanité. Peut-être LE tournant de l’histoire de l’humanité, qui ouvre la période du néolithique. L’agriculture se développe dans le croissant fertile, autour de l’actuelle Syrie, puis se diffuse rapidement dans toutes les directions. Vers l’Ouest, l’agriculture apparaît d’abord en Anatolie, c’est-à-dire la partie ouest de l’actuelle Turquie vers -7 800. 2000 ans plus tard, l’agriculture est pratiquée dans toute la moitié sud de l’Europe : du Portugal à l’Ukraine, en passant par la France et le centre de l’Allemagne (Betti et al., 2020). Notons quand même que l’agriculture s’est aussi diffusée plus tard dans d’autres régions du monde, a priori à partir de foyers indépendants : en Chine, en Amérique et en Afrique.

L’agriculture, fondée sur la cultivation et l’élevage, amène avec elle de nombreux changements sociétaux que l’on peut généraliser par la sédentarisation, des innovations technologiques, l’architecture et la complexification de la société. Nous reviendrons en détail sur tous ces éléments, qui marquent une telle rupture avec le mode de vie chasseur-cueilleur que certains historiens parlent de révolution néolithique.

Agriculture : diffusion culturelle ou migratoire ?

Depuis des décennies, un débat fait rage parmi les historiens de cette époque : comment l’agriculture s’est-elle diffusée en Europe ? Deux théories contraires s’affrontent : la colonisation et l’adoption. Au début du XXème siècle, la théorie largement admise était celle de la colonisation, c’est-à-dire que des populations de fermiers d’Anatolie auraient migré, génération après génération, dans toute l’Europe, amenant avec elles le mode de vie néolithique. C’était une explication bien ancrée dans son époque, où des grandes puissances avaient imposé leur hégémonie culturelle à travers leur empire colonial.

Puis dans la deuxième partie du XXème siècle, dans une période plus pacifique de l’histoire européenne et dans un contexte post-décolonisation, le consensus des historiens a plutôt basculé vers la théorie de la l’adoption culturelle. Suite à des échanges avec des populations de fermiers originaires d’Anatolie, les chasseurs-cueilleurs découvrent de nouvelles techniques, y trouvent un intérêt et les adoptent. Il y aurait donc une continuité de la population, qui va adopter de nouvelles méthodes, de nouveaux outils et une nouvelle culture. Et cette hypothèse a du sens. Imaginons que dans 8 000 ans des archéologues se penchent sur la France de notre époque et qu’aucune trace d’écriture n’ait survécu. En découvrant la quantité de bouteilles de Coca-Cola, de carcasses d’Iphone et de DVD de films américains, nos archéologues du futur pourraient très facilement en conclure que la France a été colonisée par les Etats-Unis à partir des années 50. Mais nous savons tous que ce n’est pas le cas et que tous ces éléments sont présents en France par diffusion culturelle et non pas par colonisation ou diffusion migratoire.

Puis on a ensuite développé un modèle hybride qui explique la néolithisation de l’Europe par l’arrivée de petits groupes de fermiers migrants, qui amènent avec eux un mode de vie qui sera ensuite adopté par les populations locales. Les archéologues souhaitent alors se détacher des narrations simplistes qui voudraient qu’une culture matérielle corresponde nécessairement à une ethnie et cherchent des modèles d’explications plus complexes. (Douglas Price, 2015, p. 111; Hofmann, 2015)

On remarque que ces théories sont bien ancrées dans leur contexte, mais elles sont également toutes appuyées par des preuves archéologiques et ont chacune leurs défenseurs. Et si j’avais fait ce podcast il y a 15 ans, on en serait resté là.

Sauf que. Une révolution – oui je sais ça fait déjà deux fois que j’utilise ce grand mot, il faudrait que je me restreigne un peu – allez, une énorme innovation a bouleversé depuis l’étude de la préhistoire : l’archéogénétique. Cette science a considérablement progressé sur les deux dernières décennies et on peut désormais extraire et traiter plus précisément de l’ADN ancien, ayant appartenu à des individus ayant vécu il y a plusieurs millénaires (Hofmann, 2015). Dans les épisodes précédents, j’ai mentionné plusieurs fois des résultats d’études génétiques qui nous donnent des informations sur les populations anciennes. On peut par exemple avoir une idée de la couleur de leurs yeux, de leurs cheveux ou de leur peau (Hanel & Carlberg, 2020). Et surtout, grâce au patrimoine génétique de ces individus anciens, on peut aussi retracer l’identité de leurs ancêtres. Avant la génétique, on pouvait déjà, pour chaque individu ancien, connaître son appartenance à une culture matérielle grâce aux objets trouvés à côté de sa tombe ; connaître la date de sa mort grâce à la datation au carbone 14 et même avoir une idée de son régime alimentaire et de la région où il a vécu grâce aux analyses isotopiques. Mais tous ces éléments ne nous donnaient aucune idée de l’origine de ces ancêtres. On savait où l’individu était mort, où il vivait et où il trouvait sa nourriture, mais on ne savait rien de ses origines. Maintenant, grâce à l’archéogénétique, c’est-à-dire l’analyse d’ADN ancien, on peut faire des liens entre le patrimoine génétique de différents individus anciens et ainsi retracer l’histoire des migrations humaines.

Les progrès de la discipline sont considérables et les conclusions s’affinent progressivement, notamment car les chercheurs ont analysé de plus en plus d’individus. Par exemple, en 2012, un article d’archéogénétique sur la Scandinavie se basait sur le génome de seulement quatre individus anciens de l’actuelle Suède (Skoglund et al., 2012). Dans les études plus anciennes encore, on tirait carrément des conclusions grâce à l’ADN des populations actuelles, ce qui comporte son lot d’incertitudes. Alors qu’en 2024, une étude se base sur le génome de 317 individus anciens d’Eurasie occidentale, dont 100 uniquement au Danemark (Allentoft, Sikora, Refoyo-Martínez, et al., 2024). Chaque mois, de nouvelles études apportent des précisions pour mieux connaître nos ancêtres. Ce qui est absolument fascinant, mais aussi déroutant quand on étudie le sujet. Les ouvrages et articles que je trouve et qui ont plus de 10 ans sont partiellement obsolètes et quant à mon podcast, si vous l’écoutez dans 10 ans, il y aura probablement des petites choses à redire.

Mais revenons à notre transition néolithique : qu’est-ce la génétique a à dire là-dessus ? Eh bien les études génétiques sont sans appel. La transition néolithique en Europe est accompagnée d’un remplacement génétique majeur par des populations venues d’Anatolie (Allentoft, Sikora, Refoyo-Martínez, et al., 2024; Betti et al., 2020; Haak et al., 2015; Hofmann, 2015; Mittnik et al., 2018). Les ancêtres des Européens de la période néolithique sont en moyenne à plus de 90 % des individus tirant leurs origines d’Anatolie et à moins de 10 % des chasseurs-cueilleurs locaux (Allentoft, Sikora, Refoyo-Martínez, et al., 2024, p. Fig 2). Ces conclusions mettent fin à un siècle de débat historiographique et nous apportent enfin une réponse : oui, une migration de fermiers de l’actuelle Turquie est la cause de l’introduction de l’agriculture en Europe. 

Un ralentissement de l’expansion de l’agriculture

En 2000 ans, ces fermiers colonisent tout le sud de l’Europe. Puis vers -5 500, leur progression vers le nord ralentit et se stabilise. La limite d’agriculture atteint alors la Biélorussie, la Belgique et le nord de l’Allemagne. Des variantes culturelles apparaissent alors en Europe au sein de ces populations de fermiers. En Europe centrale, on la culture rubanée, que l’on a baptisé ainsi du fait des rubans qui décorent leurs poteries. Cette culture est représentée des Balkans jusqu’au nord de l’Allemagne. 150 kilomètres plus au nord, les chasseurs-pêcheurs-cueilleurs de la culture Ertebölle, les protagonistes de notre épisode précédent, se retrouvent donc avec de nouveaux voisins venus d’ailleurs. Et sur cette frontière, les choses restent ainsi pendant 1 500 ans.

Nous sommes maintenant en – 4 000, année où nous avons clos l’épisode précédent. Dans le nord de l’Allemagne et en Pologne, la culture rubanée a évolué et on l’appelle désormais la culture des vases à entonnoir (Douglas Price, 2015, p. 113‑114). Retenez bien ce nom car elle va jouer un rôle déterminant dans notre histoire. Et ce nom justement d’où vient-il ? J’imagine que vous avez deviné, ils fabriquaient des vases… en forme d’entonnoir. À cette époque, en Scandinavie, différentes cultures de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs résident sur le territoire. Dans les zones côtières, certains se sont sédentarisés, alors que dans les terres, on a plutôt un mode de vie nomade ou semi-nomade. Au Danemark, les Ertebölle communiquent depuis plusieurs siècles avec les fermiers du Sud et échangent des objets. On a notamment retrouvé au Danemark des haches néolithiques et des peignes en os provenant des fermiers du nord de l’Allemagne (Douglas Price, 2015, p. 102‑103).

C’est alors que tout va changer brusquement après 1 500 ans de statu quo. Vers – 4 000, des premiers groupes de fermiers traversent la mer Baltique et s’installent dans la région de Malmö, au sud de la Suède. Puis en seulement un siècle, c’est tout le tiers sud de la Scandinavie qui est colonisé par les fermiers de la culture des vases à entonnoir

Cette série d’événements a longtemps laissé perplexe les historiens. Rappelons-nous que jusqu’à il y a une dizaine, quinzaine d’années, on pensait majoritairement que l’adoption de l’agriculture était le fruit de changements culturels et non migratoires. Comment alors expliquer ces accélérations et décélérations dans le processus d’adoption de l’agriculture ? Pour simplifier, voilà ce que ça donne avec le prisme de la théorie de la diffusion culturelle. En Europe, les chasseurs-cueilleurs adoptent très rapidement le mode de vie néolithique dans toute la moitié sud jusqu’en Allemagne, puis leurs voisins chasseurs-cueilleurs scandinaves regardent ça pendant 1500 ans, ne semblent pas intéressés, puis d’un coup, paf ! L’effet de mode les atteint et ils se mettent tous à l’agriculture dans la région en un siècle.

Une des théories qui cherchaient à expliquer ce délai dans la néolithisation de la Scandinavie était le succès du mode de vie des pêcheurs-cueilleurs scandinaves. Comme nous l’avons vu dans l’épisode précédent, il semble que les ressources ne manquaient pas et que les Scandinaves du mésolithique avaient plutôt une bonne situation. Dans ces conditions, à quoi bon se mettre à travailler la terre comme un forçat ? Mais comme on pensait qu’ils avaient bien fini par adopter l’agriculture, plusieurs raisons ont été évoquées. En premier lieu, la surpopulation ou une diminution des ressources liées à un léger refroidissement climatique. Mais ces deux explications ont été contredites par les preuves archéologiques dans les années 80 et 90 (Douglas Price, 2015, p. 110‑111). Une autre explication a émergé ensuite, celle d’un changement d’ordre économique et social. Quelques entrepreneurs décident d’adopter le mode de vie néolithique qui leur apporte des avantages économiques et sociaux. Nous évoquerons en détail tous ces avantages dans l’épisode suivant. Ces individus deviennent alors des leaders dans leur communauté, ce qui inspire d’autres individus à lancer leur start-up agricole, et ainsi de suite (Douglas Price, 2015, p. 112). Cette histoire est super convaincante et je trouve qu’on peut plutôt bien s’identifier à cette start-up nation inspirée des cultures voisines. Mais malheureusement pour nos chasseurs-pêcheurs-cueilleurs scandinaves, ce n’est pas comme ça que ça s’est passé. Il semblerait qu’ils n’aient pas été les héros de la transition néolithique, mais plutôt les victimes, car on sait aujourd’hui que l’introduction de l’agriculture en Scandinavie a été accompagnée d’un renouvellement génétique majeur.

Ce sont des migrations successives de groupes de fermiers qui ont mené la transition vers l’agriculture dans le nord de l’Europe. Mais on se retrouve de nouveau devant la même question : pourquoi l’expansion rapide de ces fermiers a été stoppée aux portes de la Scandinavie pendant 1 500 ans, avant de reprendre à grande vitesse ?

Les fermiers se mélangent avec les chasseurs-cueilleurs en Europe centrale

Pour expliquer ce phénomène, il faut considérer l’Europe dans son ensemble. L’expansion de l’agriculture se fait dans toutes les directions, puis la progression des fermiers ralentit à partir d’une certaine latitude Nord, que ce soit vers les actuelles Belgique, Allemagne ou Biélorussie. Et pourtant, aux mêmes époques, les fermiers continuent leur progression vers le Sud-Ouest, jusqu’au bout de la péninsule ibérique. Il est donc possible que ce ralentissement soit dû aux difficultés pour les céréales provenant du Proche-Orient à s’adapter au climat plus froid du Nord de l’Europe. D’ailleurs, les fermiers installés en Europe centrale cultivent une moins grande variété de céréales que leurs congénères installés plus au sud. Et il est aussi intéressant de remarquer que dans ces régions aux confins de l’Europe néolithique, les fermiers se sont plus mélangés génétiquement aux populations locales de chasseurs-cueilleurs, qui ne paraissent pourtant pas avoir été plus denses qu’ailleurs.

On peut alors imaginer le scénario suivant. Dans leur expansion, des familles de fermiers s’installent, génération après génération, plus au nord. Comme leurs ancêtres l’ont fait avant eux, ces groupes colonisent le territoire avec leurs bêtes, brûlent des forêts pour créer des champs et des pâturages, travaillent la terre et plantent leurs céréales. Mais arrivés à une certaine latitude, cela ne se passe plus comme prévu. Dans cette région froide, les rendements agricoles sont mauvais et variables. Il faut alors chasser, cueillir et pêcher pour manger et compléter les faibles récoltes. Ces activités mènent nos fermiers néolithiques à côtoyer des chasseurs-cueilleurs locaux, à échanger avec eux, puis à se mélanger et à fonder des familles mixtes (Betti et al., 2020).

C’est dans ce contexte qu’apparaît la culture des vases à entonnoir qui va déferler sur la Scandinavie. Culturellement, ces fermiers ont des influences occidentales et vont adopter des pratiques funéraires venues successivement du Bassin parisien, les tumulus, puis de Bretagne, les mégalithes (Douglas Price, 2015, p. 114). Génétiquement cependant, la culture des vases à entonnoir est issue des fermiers d’Europe centrale qui les ont précédés. Ils tirent également 25 % de leur patrimoine génétique de chasseurs-cueilleurs locaux, suite à cette longue période de cohabitation qui a vu le mode de vie néolithique s’imposer en Europe centrale. Cela reste minoritaire, mais c’est significativement plus que la moyenne européenne de 10 % d’origine chasseur-cueilleur au néolithique (Allentoft, Sikora, Refoyo-Martínez, et al., 2024).

Une diffusion rapide de la culture des vases à entonnoir en Scandinavie

Reprenons notre chronologie. Vers – 4 100, la culture des vases à entonnoir apparaît dans le nord de l’Allemagne. Vers -4 000, elle est présente en Pologne et se diffuse en Scanie, la région la plus au sud de la Suède. 50 ans plus tard, les fermiers sont installés au Danemark. Et vers -3 900, ils sont présents dans tout le tiers sud de la Scandinavie, jusqu’à une ligne allant des actuelles Oslo à Stockholm. En quelques générations, une superficie de la taille de l’Espagne est investie par ces groupes de fermiers (Douglas Price, 2015, p. 108‑109).

Au début, ils s’installent principalement dans les terres. Probablement parce que ces zones étaient à la fois plus adaptées à leur mode de vie agricole et également moins peuplées par les locaux, qui sont très présents sur les côtes. Les nouveaux-venus installent leurs colonies proches de rivières et de lacs, pour avoir un accès facile à l’eau douce (Douglas Price, 2015, p. 126). Là où elle s’installe, chaque famille défriche pour créer des petits champs, pâturages et jachères, enclavés dans la grande forêt scandinave.

Le mode de vie néolithique débute en Scandinavie

Pour couper rapidement une telle quantité d’arbre, il faut les bons outils. C’est ici qu’interviennent les haches en pierres polies, un des éléments principaux du néolithique et qui lui ont d’ailleurs donné son nom. Le néolithique, c’est l’âge de la nouvelle pierre, ou l’âge de la pierre polie. On a retrouvé des dizaines de milliers de ces haches dans toute la Scandinavie. Les haches du mésolithique, en pierre taillée, sont trop légères et trop fragiles pour découper efficacement une grande quantité d’arbre.

Les haches polies sont à la fois plus solides, car elles propagent mieux les ondes de choc et plus durables, car elles peuvent être repolies. Elle nécessite cependant un travail bien plus considérable. L’archéologie expérimentale a montré qu’il fallait environ 33 heures pour réaliser une hache polie, dont presque 30 rien que pour le polissage. Mais ce travail n’était pas vain. Avec une telle hache polie en silex, insérée dans un manche en bois, on peut couper un arbre de 30 centimètres de diamètre en une dizaine de minutes seulement. (Douglas Price, 2015, p. 104‑105)

Après la coupe des arbres et l’utilisation du bois, certaines zones sont utilisées comme pâturage pour les animaux d’élevage. Nos fermiers élèvent principalement des bovins, qui leur apportent du lait, des produits laitiers, de la viande, mais également des cornes et des os pour les outils. Le deuxième animal le plus représenté est le cochon, qu’ils laissaient probablement pâturer directement dans les forêts. Ils élèvent aussi des moutons, des chèvres et des chiens.

D’autres zones défrichées sont brûlées. Le brûlis permet un transfert de fertilité. Les minéraux présents dans les végétaux passent dans la terre. Après le passage du feu, les fermiers binent la terre, c’est-à-dire qu’ils remuent la surface du sol pour l’aérer. Ceux qui ont un carré potager savent que cette étape d’aération de la terre avant de semer est la plus fatigante. Si vous n’utilisez pas de motoculteur, vous faites probablement ça avec une houe, une bêche, une pioche voire une pelle. Un outil en acier en tout cas, un matériau à la fois léger, dur et résistant. Imaginez qu’à cette époque, nos fermiers n’avaient pas d’acier, ni de métal d’ailleurs. Ils utilisaient probablement des bâtons en bois ou au mieux une houe – une sorte de pioche – faite d’un outil en silex et d’un manche en bois. Bon courage.

Après le binage, ils sèment des céréales : du blé, de l’orge et peut-être de l’épeautre (Douglas Price, 2015, p. 116‑119). D’après les résidus trouvés dans les céramiques, le blé servait à faire du pain et l’orge à brasser de la bière. Il est très possible que nos premiers fermiers soient de gros buveurs de bière et qu’ils utilisent leurs fameux vases à entonnoir pour conserver et boire leur précieux breuvage. Dans les années 50, l’archéologue Robert Braidwood a même émis l’hypothèse que la révolution néolithique avait pour but premier de produire de la bière et donc de picoler. Et non, Braidwood n’était même pas Anglais pour avoir des idées pareilles ! (Douglas Price, 2015, p. 130)

Au milieu de ces champs, nos fermiers construisent une maison rectangulaire, traversée par une rangée centrale de poteaux soutenant le toit. À l’intérieur, on retrouve un grand espace ouvert de 35 à 130 m² et une zone avec un foyer pour le feu, utilisé comme espace de travail. Le sol est creusé et la maison est donc partiellement sous le niveau de la terre, probablement pour bénéficier de l’inertie thermique de la terre. La maison typique est orientée Est-Ouest, avec une entrée sur un de ces côtés ou les deux. Cette unique maison était située au milieu des petits champs et pâturages, pour une superficie totale ne dépassant pas les 700 m². Ces toutes petites fermes sont isolées et éloignées les unes des autres, au milieu de la grande forêt scandinave. (Douglas Price, 2015, p. 127)

Mais bien qu’éloignées les unes des autres, ces familles de fermiers ne vivent cependant pas en autarcie et leur société devait déjà être complexe et peut-être hiérarchisée. Une des preuves archéologiques qui nous permettent d’affirmer ça, c’est la construction de tumulus dès l’arrivée des premiers fermiers. Ces tumulus allongés sont des collines artificielles à l’intérieur desquelles sont enterrés un défunt, parfois plusieurs, maximum 5. Construites en terre et en bois, ces tombes monumentales font maximum 2 mètres de haut, mais entre 20 et 100 mètres de long. Des rangées de piquets à l’intérieur soutiennent la structure. Le défunt est installé avec du mobilier funéraire côté Est, derrière une façade massive en bois. Le tout était généralement entouré de palissades.

On ne retrouve qu’une cinquantaine de ces monts funéraires en Scandinavie. Etant donné que les tumulus sont peu nombreux et ne contiennent que très peu de défunts, souvent un d’ailleurs, cela montre qu’ils étaient réservés à une très petite partie de la population. Rajoutons à cela le fait que la réalisation de ces tumulus demandait un travail titanesque – entre 10 000 et 35 000 heures de travail (Wunderlich, 2019, p. 295) – on peut supposer l’émergence potentielle d’une élite sociale mais surtout l’existence certaine d’une organisation communautaire pour la construction et la maintenance de telles structures. D’ailleurs, pour nos fermiers, ces lieux représentaient peut-être plus qu’une tombe d’élite. Ces tumulus était peut-être un lieu de rassemblement pour la communauté, où on pratiquait des cérémonies et des rituels, pendant plusieurs siècles. (Douglas Price, 2015, p. 143‑145) Chez les chasseurs-cueilleurs, on devait être bien étonné devant de telles constructions. Si j’étais eux, je les trouverais bien étranges ces fermiers qui passent des heures à construire des collines pour s’y rassembler. Alors qu’il y en a déjà plein des collines dans le coin.

Une disparition rapide des chasseurs-cueilleurs dans le sud de la Scandinavie

Revenons à nos chasseurs-cueilleurs justement. L’archéogénétique nous a démontré ces dernières années que ceux-ci ont été remplacés génétiquement par les fermiers d’Europe centrale, amenant par ailleurs une plus grande proportion de cheveux clairs en Scandinavie. (Allentoft, Sikora, Fischer, et al., 2024) Cette transition a été extrêmement brutale car le patrimoine génétique du sud de la Scandinavie a changé en une centaine d’années. Les individus retrouvés dans cette région n’ont reçu qu’une infime contribution génétique des pêcheurs de la culture Ertebølle. (Allentoft, Sikora, Fischer, et al., 2024; Mittnik et al., 2018) Mais qu’est-ce qu’il leur est arrivé ? Comment cette population a pu disparaître ainsi ? Est-ce que les fermiers de la culture des vases à entonnoir ont tellement brûlé les forêts que les chasseurs-cueilleurs ne pouvait plus se nourrir ? Difficile à imaginer tant la pêche et cueillette maritime était importante dans le régime alimentaire de ses femmes et hommes du mésolithique. Est-ce que les fermiers ont commis un génocide des autochtones ? Peut-être, mais on n’en a aucune preuve archéologique. Peut-être que nos Scandinaves du mésolithique étaient en petit nombre et qu’ils ont été submergé par une grande vague migratoire. Certains groupes pêcheurs-cueilleurs ont peut-être continué leur mode de vie en autarcie jusqu’à devenir extrêmement minoritaires et voir leur patrimoine génétique quasiment disparaître. Actuellement, les historiens n’ont pas de réponse définitive. (Allentoft, Sikora, Fischer, et al., 2024)

Ce que l’on sait, c’est que quelques gênes des Ertebølle se sont transmis chez les individus du néolithique. C’est donc que certains chasseurs-cueilleurs scandinaves se sont intégrés chez les nouveaux-venus. On a d’ailleurs un exemple frappant d’intégration. Laissez-moi vous présenter celui que l’on connaît sous le nom de “Dragsholm man”. Cet homme a été enterré dans l’ouest du Sjælland, au Danemark, entre – 4 000 et – 3 700, soit en plein pendant la transition néolithique de la région. Notre homme a été retrouvé accompagné de matériel funéraire typique de la culture des vases à entonnoir. D’après les analyses isotopiques, son régime alimentaire était typique des fermiers du début du néolithique. Et pourtant… son patrimoine génétique est caractéristique des chasseurs-cueilleurs danois. Dragsholm man est donc un individu issu des Ertebølle mais qui s’est intégré avec les nouveaux-venus en adoptant leur culture et leur régime alimentaire. (Allentoft, Sikora, Fischer, et al., 2024)

Mais pour expliquer ce changement de population, il existe une autre possibilité. Certes, après quelques générations, le mode de vie et le patrimoine génétique des chasseurs-cueilleurs autochtones a quasiment disparu du sud de la Scandinavie. Mais ce n’est pas le cas dans toute la Scandinavie. Plus au Nord, on vit toujours de la pêche, de la chasse et de la cueillette. Pas de trace de nos fermiers là-bas. Peut-être qu’avec l’arrivée tonitruante des fermiers venus du sud, certains chasseurs-cueilleurs ont choisi de migrer vers le Nord. Au nord de la zone où l’agriculture était climatiquement possible, histoire d’être bien tranquille. Et rassurez-vous, nos sympathiques chasseurs-cueilleurs n’ont pas dit leur dernier mot, ils feront un spectaculaire come back dans l’épisode 7 sous le nom de la culture de la céramique perforée…

En tout cas dans le Sud, les fermiers sont dans la place. Mais malgré l’expansion rapide de cette culture des vases à entonnoir en Scandinavie, il semblerait que leurs débuts aient pourtant été assez modestes. Pendant les 500 premières années, les familles de fermiers vivent sur de petits terrains, dans des maisons plus ou moins modestes. L’élevage et la cultivation ne sont pas suffisants pour se nourrir, car au début, moins de 30 % de leur alimentation provient de leur agriculture. Pour le reste, ils doivent chasser, pêcher et cueillir, comme les autochtones du mésolithique. (Douglas Price, 2015, p. 116‑119) Les céramiques sont peu décorées et les haches sont polies de façon utilitaire mais pas ornementales, ce qui montre que l’esthétique des outils ne devait pas être leur priorité… Mais tout ça va grandement s’accélérer vers -3 500 : la taille des champs est multipliée par 10, 20, 40. L’agriculture est en plein boom. La forêt se réduit. Les maisons s’agrandissent et se complètent de bâtiments supplémentaires.

Pourquoi ? Comment ? Rendez-vous dans l’épisode 6 de La Dent Bleue pour découvrir la suite !

Merci à Morten Allentoft, l’auteur principal de deux études majeures d’archéogénétique publiées en 2024 d’avoir répondu à mes questions et de m’avoir apporté des éclaircissements cruciaux pour l’écriture de cet épisode.

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C’était Maxime Courtoison pour le podcast La Dent Bleue, l’histoire des vikings. Merci pour votre écoute et à bientôt !

Bibliographie complète

Sources principales

  • Allentoft, M. E., Sikora, M., Fischer, A., Sjögren, K.-G., Ingason, A., Macleod, R., Rosengren, A., Schulz Paulsson, B., Jørkov, M. L. S., Novosolov, M., Stenderup, J., Price, T. D., Fischer Mortensen, M., Nielsen, A. B., Ulfeldt Hede, M., Sørensen, L., Nielsen, P. O., Rasmussen, P., Jensen, T. Z. T., … Willerslev, E. (2024). 100 ancient genomes show repeated population turnovers in Neolithic Denmark. Nature, 625(7994), 329‑337. https://doi.org/10.1038/s41586-023-06862-3
  • Allentoft, M. E., Sikora, M., Refoyo-Martínez, A., Irving-Pease, E. K., Fischer, A., Barrie, W., Ingason, A., Stenderup, J., Sjögren, K.-G., Pearson, A., Sousa da Mota, B., Schulz Paulsson, B., Halgren, A., Macleod, R., Jørkov, M. L. S., Demeter, F., Sørensen, L., Nielsen, P. O., Henriksen, R. A., … Willerslev, E. (2024). Population genomics of post-glacial western Eurasia. Nature, 625(7994), 301‑311. https://doi.org/10.1038/s41586-023-06865-0
  • Betti, L., Beyer, R. M., Jones, E. R., Eriksson, A., Tassi, F., Siska, V., Leonardi, M., Maisano Delser, P., Bentley, L. K., Nigst, P. R., Stock, J. T., Pinhasi, R., & Manica, A. (2020). Climate shaped how Neolithic farmers and European hunter-gatherers interacted after a major slowdown from 6,100 BCE to 4,500 BCE. Nature Human Behaviour, 4(10), 1004‑1010. https://doi.org/10.1038/s41562-020-0897-7
  • Douglas Price, T. (2015). Ancient Scandinavia : An archaeological history from the first humans to the Vikings. Oxford University Press.

Sources secondaires

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Crédits

Musique de générique : « Heavy Interlude » de Kevin MacLeod. ( http://incompetech.com/music/royalty-free/index.html?isrc=USUAN1100515 ). Licence Creative Commons Attribution 4.0.

Autres musiques et effets sonores :

2 réponses à “5 – Une invasion de fermiers en Europe ?”

  1. Avatar de françoise CUADRADO
    françoise CUADRADO

    Merci Maxime
    Super intéressant cet épisode

    1. Avatar de maxime

      Merci beaucoup ! 😀 J’ai pris beaucoup de plaisir à l’écrire 🙂

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