2 – À la conquête du Grand Nord !

Logo épisode. Texte : épisode 2, à la conquête du Grand Nord ! Image : des rennes sur un paysage enneigé.

Crédit photo : hotpot.ai/art-generator & ladentbleue.fr

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La Dent Bleue – L’histoire des vikings
La Dent Bleue – L’histoire des vikings

Bienvenue à bord !
Dans le podcast La Dent Bleue – L’histoire des vikings, Maxime Courtoison vous guide à travers les mers et les fleuves européens pour vous faire vivre l’histoire des vikings. L’émission est une narration orale et chronologique de l’histoire des vikings, des premiers peuplements de Scandinavie jusqu’à la dernière expédition viking, accompagnée de connaissances sur la mythologie nordique, la culture et les légendes de la Scandinavie ancienne.

2 – À la conquête du Grand Nord !
byMaxime Courtoison

Alors que la Scandinavie se remet doucement de l’ère glaciaire, des premiers groupes humains suivent des troupeaux de rennes et s’installent dans ce territoire inhabité. Par voie terrestre et maritime, les premiers Scandinaves du paléolithique repoussent les frontières et s’installent toujours plus au nord. Suivons leur histoire et découvrons leur mode de vie.

Retrouvez ici script complet, cartes, sources, crédits photos et musicaux : https://ladentbleue.fr/histoire-scandinavie-paleolithique

Nous sommes dans l’extrême nord de la Norvège, il y a près de 12 000 ans. Un petit groupe de chasseurs-cueilleurs navigue à bord d’une embarcation en bois et en cuir. Ce groupe longe les côtes prises par les glaces depuis bien longtemps déjà, dans l’espérance de trouver, au-delà de cette étendue blanche, de la vie. Des terres pour s’installer.

Enfin, on aperçoit  le bout du glacier. Leur voyage était long mais leur espoir est récompensé. Tout ce petit monde débarque, monte le camp et part explorer les environs. Ce sont les premiers humains à avoir jamais posé le pied sur ces terres. (Douglas Price, 2015, p. 31)

Bonjour. C’est Maxime Courtoison. Bienvenue sur le podcast La Dent Bleue, l’histoire des vikings. Épisode 2 : “À la conquête du Grand Nord !”

Ce podcast est un voyage dans le temps pour explorer l’histoire des vikings. Comme expliqué lors de l’épisode d’introduction, que je vous recommande d’écouter avant celui-ci, nous commençons notre histoire bien avant la période viking, afin de comprendre les mécanismes et événements qui ont fait prendre la mer à des milliers de Scandinaves en soif de richesses et de prestige.

Dans cet épisode, nous allons définir la Scandinavie et découvrir ses colonisations successives, d’abord par les glaces, puis par les végétaux, les animaux et enfin les premiers humains. Nous balaierons la période allant de -113 000 à -9 500.

La Scandinavie : définition

Commençons par planter le décor : la Scandinavie. Le mot Scandinavie apparaît pour la première fois dans l’Histoire Naturelle de l’écrivain romain Pline l’Ancien. Vers l’an 77, celui-ci mentionne la Scadinavia, une grande île de la mer Baltique. Ce nom latin, Scadinavia, pourrait correspondre au nom germanique “Skaðin-aujo” qui pourrait signifier “l’île dangereuse” ou encore “la dangereuse terre sur l’eau”. Cette petite variante est importante, car les auteurs de l’Antiquité pensaient que la péninsule scandinave qui comprend la Norvège et la Suède était une île, mais il est peu probable que les Scandinaves pensaient la même chose. Mais d’où viendrait ce fameux danger ? Il est possible que cela soit dû aux nombreux récifs et bancs de sable qui effraient les marins lorsqu’ils traversent le détroit du Kattegat qui relie la mer du Nord et la mer Baltique (Helle, 2008, p. 1‑4).

Aujourd’hui, ce que l’on considère comme Scandinavie au sens strict est l’ensemble Danemark, Suède, Norvège. De nombreuses raisons poussent à considérer ces trois pays en tant que groupe. Et la principale est d’ordre linguistique. À la période viking et encore plus ou moins aujourd’hui, les Scandinaves se comprenaient mutuellement. De nombreuses similitudes culturelles existent entre les populations scandinaves et l’histoire de ces trois pays est intimement liée : chacun des trois pays a été un jour sous la domination d’un des deux autres (Boyer, 2004, p. 63‑73). Et pour le reste des Européens de la période viking, il ne semble faire aucun doute que les Scandinaves sont similaires. Ils les regroupent tous dans le même paquet de “normands” ou “vikings”. Parmi de nombreux témoignages contemporains allant dans ce sens, on peut citer Éginhard qui écrit dans les années 820 dans La vie de Charlemagne :  “Les Dani et les Sueones que nous appelons Nordmanni.” En latin, Dani et Sueones désignent plus ou moins les Danois et une partie des Suédois. Il utilise aussi le mot Nordmanni, que l’on peut traduire par Normands. Je précise que cela n’avait rien à voir à l’époque avec la Normandie actuelle, qui a justement pris ce nom après l’arrivée des hommes du Nord à la période viking (Renaud, 2019, p. 25).

Le mot Scandinavie est parfois utilisé au sens large en y ajoutant la Finlande, l’Islande, les îles Féroé, l’île Åland et le Groënland. Ces pays et provinces ont également une histoire commune et des éléments culturels communs avec le Danemark, la Norvège et la Suède. Mais la langue finlandaise est complètement différente des langues scandinaves. Et les autres pays font plutôt partie de la diaspora scandinave et non du berceau scandinave. Le terme utilisé par les Scandinaves pour désigner cet ensemble est Norden, qui signifie littéralement “Le Nord” et que nous traduisons par “pays nordiques”. C’est la convention que l’on utilisera dans ce podcast. Nous évoquerons tous ces territoires, mais on limitera le terme Scandinavie au groupe Danemark, Suède, Norvège (Helle, 2008, p. 1‑4).

Et la Scandinavie seule constitue déjà un immense territoire, dont les dimensions sont difficiles à appréhender. Mais essayons quand même. Dites-vous que Copenhague est plus proche à vol d’oiseau de la pointe sud de l’Italie que de la pointe nord de la Norvège. Et qu’Oslo est plus proche de Rome que du Cap Nord. Mettons un nombre sur ces distances colossales : la côte norvégienne, sans compter l’intérieur des fjords et des baies, mesure plus de 2500 kilomètres (Jones, 1968, p. 60‑65).

Par la suite, je vais beaucoup mentionner la géographie scandinave. Afin de vous permettre de visualiser le lieu de l’action, j’ai mis quelques cartes sur l’article de l’épisode, à retrouver sur ladentbleue.fr. Vous pourrez aussi les retrouver dans la section “Cartes” du site.

La glaciation et ses conséquences

Nous démarrons notre histoire autour de l’année -113 000, au début de la dernière glaciation. Suite à une forte baisse des températures, les forêts disparaissent et une masse de neige et de glace se forme, centrée autour de l’actuel golfe de Botnie, le bras de la mer Baltique qui sépare la Suède de la Finlande. La masse de neige et de glace prend de la hauteur et, du fait sa taille, elle s’affaisse et s’élargit sur tous les côtés au rythme d’environ 150 mètres par an, jusqu’à atteindre ce que l’on appelle le dernier maximum glaciaire, vers -18 000. À cette période, la température moyenne de l’hémisphère nord était inférieure d’environ 8°C à celle de notre époque. Et oui, 8°C de différence, ça ne paraît pas tant que ça quand on voit les écarts de températures d’un jour à l’autre ou au sein d’une journée, mais quand on parle de température moyenne, ça crée un âge de glace (Osman et al., 2021) (Sporrong, 2008, p. 15‑42) (Douglas Price, 2015, p. 1‑59) !

Notre glacier a maintenant une épaisseur de deux kilomètres en son centre et s’étend sur une immense partie de l’Europe du Nord, allant de l’Irlande jusqu’au Nord-Ouest de la Russie et au Spitzberg. Si on se focalise sur la Scandinavie, la calotte glaciaire recouvre la moitié du Danemark, toute la Suède et toute la Norvège à l’exception d’une partie sur la côte Ouest. L’existence de ce glacier a deux conséquences importantes pour la suite de notre histoire.

La première conséquence, c’est que le poids de cette lourde calotte glaciaire a compressé la croûte terrestre qui s’est abaissée. Plus la calotte était épaisse, plus la terre s’est compressée sous le poids, ce qui résulte d’une sorte de bol centré sur le golfe de Botnie, où la terre a été compressée de 600 mètres.

La deuxième conséquence, c’est que le glacier a capté et a stocké l’eau, qui n’était de fait plus dans les mers. Le niveau de la mer était beaucoup plus bas qu’aujourd’hui (jusqu’à 120 m plus bas). La Manche ainsi que le sud de la mer du Nord étaient complètement à sec. On pouvait donc marcher de la Grande-Bretagne jusqu’en France et même jusqu’au Danemark. La présence humaine sur cet immense territoire, appelé Doggerland, est attestée car des bateaux ont retrouvé dans leurs filets divers objets préhistoriques, notamment une pointe taillée dans du bois de cerf découverte dans les années 1930 et datée autour de l’an -11700.

Les refuges de l’Europe glaciaire

Les humains modernes, homo sapiens, sont entrés en Europe vers -43 000 (Fu et al., 2016), mais à l’époque du dernier maximum glaciaire, vers -18 000, au plus froid de la période glaciaire, la majorité de l’Europe s’est dépeuplée et est inhabitée. Seules quelques régions accueillent des concentrations humaines plus importantes. À l’Ouest, on trouve la culture du Magdalénien dans le sud-ouest de la France et en Cantabrie, dans le nord de l’Espagne. À l’Est, on a la culture de l’Épigravettien, en Italie, dans les Balkans et dans les vallées fluviales d’Ukraine (Posth et al., 2023). Le reste de l’Europe est habité par quelques populations isolées, et certaines régions comme la plaine d’Europe du Nord, centrée autour du nord de l’Allemagne, sont totalement inhabitées (en tout cas, aucun vestige archéologique n’y a été retrouvé). Ces deux cultures ont produit des œuvres d’art remarquables dont la plus connue est la grotte de Lascaux dans la Dordogne, par la culture du Magdalénien. Pour les populations de l’Est, de l’Épigravettien, la source principale de nourriture est le mammouth. Pour ceux de l’Ouest, de la culture du Magdalénien, on mange du renne… et de l’humain (bruit de mastication). Et oui, une étude récente a démontré que le cannibalisme était très pratiqué dans cette culture, mais d’après l’analyse des os, ce serait a priori un cannibalisme rituel pour honorer les morts, pas un cannibalisme de subsistance. Pour les Épigravettiens, pas de cannibalisme, on enterre ses morts entiers (Marsh & Bello, 2023).

Les premiers Danois

Puis, les températures commencent doucement à remonter. Vers -14 000, la glace commence à fondre dans le nord de l’Allemagne et au Danemark, laissant derrière elle une terre à nue : un paysage désertique de plaines et de collines de pierre, de sable, de gravier et de divers dépôts. Les premières espèces vivantes à s’y aventurer sont les herbes et quelques bouleaux nains, créant un écosystème que l’on appelle la toundra. Après les premières végétations basses, la terre est ensuite colonisée par les premiers arbres : genévriers, bouleaux et trembles (Schrøder et al., 2004).

L’arrivée de la végétation dans le sud de la Scandinavie attire les rennes, qui eux-mêmes attirent les loups et les humains, les premiers à fouler le sol scandinave, vers -13 000, dans une période assez froide. Alors, les premiers… Il est possible que des Néandertaliens aient vécu en Scandinavie avant l’arrivée d’homo sapiens, mais on ne peut pour l’instant pas le savoir car toutes les traces archéologiques auraient disparu, à part une découverte controversée de quelques outils en pierre qui pourraient dater de plus de 100 000 ans. Et alors ces premiers humains modernes, ces premiers homo sapiens à fouler les terres scandinaves, qui sont-ils et d’où viennent-ils ?

Eh bien, vous souvenez-vous des Magdaléniens qui vivaient dans la Cantabrie et dans le Sud-Ouest de la France ? Mais si, vous savez… (bruit de bouche) ceux-là ! Ils ont bien profité de la remontée des températures et se sont développés en Europe. Voici la route qu’ont suivi celles et ceux qui sont arrivés en Scandinavie, sur des générations et des générations : partis de la Cantabrie et du sud-ouest de la France, leurs peuplements se sont dispersés dans une direction Nord-Est en remontant la France, puis les Ardennes belge, le sud des Pays-Bas, avant de virer plus à l’Est vers la vallée du Rhin, le sud-ouest puis le centre de l’Allemagne, la Tchéquie et le sud de la Pologne. Enfin, nos Magdaléniens ont commencé à s’installer de plus en plus au Nord, aboutissant à la culture dite Hambourg qui a commencé à s’installer dans le nord de l’Allemagne puis au Danemark. L’emplacement de leurs installations était probablement calqué sur le comportement et les routes migratoires des rennes. On retrouve plus de 200 sites archéologiques de cette culture Hambourg, présente dans tout le nord de l’Europe et dont la branche scandinave ne représente qu’une minorité de sites. On y retrouve de nombreux artefacts, comme des harpons et des haches en bois de rennes. Les vestiges de cette culture nous dessinent un portrait de femmes et hommes vivant essentiellement autour de la chasse aux rennes.

Carte modifiée (flèches) par Maxime Courtoison https://ladentbleue.fr (Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 4.0 Deed).
Fond de carte : Juschki, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons.
Source d’informations sur le trajet des Magdaléniens : Douglas Price, T. (2015). Ancient Scandinavia : An archaeological history from the first humans to the Vikings. Oxford University Press. (p32)

Conséquences de la déglaciation

En plus de la colonisation du territoire par des espèces végétales, animales et humaines, deux autres conséquences de la déglaciation vont avoir un impact drastique sur le paysage. La fonte des glaciers libère l’eau captée, qui se déverse dans les mers – préparez-vous, habitants du Doggerland, vos millénaires sont comptés ! – mais aussi dans le bassin baltique qui se remplit d’eau douce pour devenir ce que l’on appelle le lac proglaciaire baltique, le premier stade de la future mer Baltique, qui sera le théâtre de nombreuses de nos histoires de la période viking.

La deuxième conséquence est plus complexe à comprendre. Souvenez-vous que la calotte glaciaire, par son poids immense, a compressé la croûte terrestre de plusieurs centaines de mètres. Maintenant que la calotte s’allège voire disparaît par endroit, la surface terrestre remonte. Ce phénomène se nomme rebond post-glaciaire, ou ajustement isostatique et peut être comparé à celui qui se produit lorsque vous vous levez de votre lit : le matelas a été compressé mais il reprend progressivement sa forme. Au fur et à mesure de la déglaciation, la terre remonte, proportionnellement à l’épaisseur de la calotte glaciaire qui l’écrasait. Cette dernière atteignait son maximum – deux kilomètres – dans le centre du golfe de Botnie. Dans cette région, la terre est aujourd’hui remontée de près de 300 mètres depuis le dernier maximum glaciaire. Mais elle n’a pas encore tout récupéré, car elle continue encore de monter de presque un centimètre par an, faisant régulièrement sortir de la mer de nouvelles îles et littoraux. Ce phénomène devrait continuer encore plusieurs milliers d’années pour revenir à l’équilibre (Sporrong, 2008). Autour de la mer Baltique, les conséquences de ce phénomène géologique ont été ressenties à toutes les époques : des villages de pêcheurs ont vu la mer s’éloigner inexplicablement, des ports ont dû se relocaliser. En Suède, le fameux comptoir commercial de Birka était encore situé dans une baie à l’époque viking, mais la montée du niveau terrestre l’a finalement séparé de la mer Baltique, compliquant l’accès, ce qui pourrait être une des causes de son déclin vers 960 (Risberg et al., 2002). On ne peut qu’imaginer les inquiétudes des Scandinaves qui voyaient année après année la mer s’éloigner…

La déglaciation a donc engendré deux phénomènes contradictoires qui s’affrontent : l’augmentation du niveau de la mer et le rebond post-glaciaire qui fait monter la terre et qui fait donc en quelque sorte augmenter le niveau de la terre. Aujourd’hui, le bilan est différent selon les régions en Scandinavie. Dans le tiers sud, c’est la mer qui a gagné du terrain et la surface terrestre a diminué jusqu’aux côtes que nous connaissons aujourd’hui. Dans les deux tiers nord, c’est le contraire, le rebond post-glaciaire a été supérieur à la montée du niveau de la mer. Les terres sont donc montées et de nouveaux rivages sont apparus, donnant l’impression que la mer diminuait.

Remontée des températures

Revenons à notre chronologie. Vers -12 000, alors que les températures sont à mi-chemin entre celles du dernier maximum glaciaire et celles actuelles (Osman et al., 2021), des études génétiques nous montrent qu’un vaste remplacement de population a lieu en Europe, qui voit des populations issues des Epigravettiens du nord-ouest de l’Italie et anciennement d’Europe du Sud-Est prendre la place des populations issues des Magdaléniens (Posth et al., 2023). Ce remplacement de population est également associé à un changement dans les pratiques funéraires : fini le cannibalisme rituel, place à l’enterrement (Marsh & Bello, 2023). Durant cette période relativement tempérée, tout le Danemark est libéré des glaces et 500 ans plus tard, c’est également le cas de la Scanie, la région suédoise la plus au sud. La montée des températures favorise l’expansion de forêts de bouleaux qui s’étendent à travers la majorité du territoire, accueillant en leur sein d’autres espèces d’arbres minoritaires. Ce climat plus clément permet également l’arrivée par le sud de grands troupeaux d’animaux forestiers non-migrateurs comme les élans, suivis par de nouveaux groupes d’humains en nombre conséquent. Ces nouveaux arrivants, qui vont progressivement remplacer les premiers, ont un mode de vie un peu différent de celui des Hambourg. Leurs sites sont répartis sur tout le territoire et pas seulement le long des routes migratoires des rennes, et leurs implantations sont deux fois plus petites, principalement composés d’une seule famille, rassemblée autour d’un feu de camp central. Deux cultures différentes se distinguent alors, Federmesser et Bromme.

À cette époque, vers -12 000, la culture Federmesser est présente du nord de la France jusqu’au nord de l’Allemagne. Les Federmesser sont issus des Epigravettiens venus d’Italie et il semblerait qu’ils soient indépendants des Hambourg – qu’ils ont un peu côtoyés (Posth et al., 2023). Leur objet caractéristique est le couteau à plume (federmesser en allemand), une sorte de canif en silex. Pour la précision, le silex n’est pas n’importe quelle pierre, mais un type de roche très dure. Parmi les objets remarquables, une tête d’élan en ambre a été retrouvée. Les Federmesser s’installent dans le sud de la Scandinavie et sont suivis, quelques siècles plus tard, par les Bromme. La culture Bromme est beaucoup moins étendue et se retrouve uniquement au Danemark et dans le nord de l’Allemagne. L’origine de cette culture est débattue, elle est peut-être liée à la culture Federmesser. Leur objet caractéristique est une large pointe de lance en silex, une technique simple et avec beaucoup de gaspillage. Cela peut s’expliquer par la présence de ressources abondantes en silex dans le sud de la Scandinavie, ce qui ne nécessitait pas d’être efficient dans la production.

Notion de culture archéologique

J’en profite pour expliquer un peu ce que signifie cette notion de culture archéologique. En fait, les archéologues ne peuvent pas étudier directement les peuples ou les sociétés. Les preuves de ceux-ci n’existent plus. Ils étudient les éléments que ces groupes ont laissé et qui ont survécu jusqu’à nous : des objets, des déchets, des os, des tombes. Lorsqu’un ensemble d’éléments similaires sont retrouvés à une même période temporelle et dans une même région, les archéologues parlent alors de culture matérielle. Leur hypothèse est qu’un groupe de personnes qui partageaient une même culture matérielle partageaient également les mêmes besoins, objectifs et croyances et donc qu’ils représentaient une sorte de société. On donne alors à ces cultures matérielles un nom de lieu représentatif comme culture Hambourg, culture Ertebølle ou de technologies représentatives comme culture Federmesser, culture des haches de bataille. Ces noms de cultures sont alors utilisés pour nommer les sociétés qu’elles représentent, même si leur taille précise, leur nature et leur structure reste méconnue (Douglas Price, 2015, p. 12‑13). Mais il ne faut pas non plus surinterpréter car on ne peut pas savoir si une culture archéologique possède une unité ethnique, linguistique ou génétique (Manninen et al., 2021), sans avoir une approche multidisciplinaire, c’est-à-dire en combinant par exemple les travaux des archéologues, des linguistes historiques et des généticiens. Et même avec tout ça, notre connaissance de ces sociétés reste très limitée. D’ailleurs, les archéologues font bien attention à parler de cultures archéologiques plutôt que de peuples, par exemple les porteurs de la culture Federmesser et non les Federmesser, mais je vais parfois délibérément utiliser ce petit abus de langage pour rendre ces épisodes plus vivants. Et oui, “culture des haches de bataille”, c’est classe comme nom ! On reparlera d’eux dans quelques épisodes.

Baisse des températures : le Dryas récent

Qu’il fait bon vivre dans ce 12ème millénaire avant l’ère commune : des températures correctes, des forêts remplies de troupeaux d’élans bien gras, du silex à profusion pour les outils… Mais tout ça ne va pas durer. Vers – 11 000, les températures baissent brutalement, pour des raisons encore mal comprises aujourd’hui. (son de blizzard) Il fait froid. Lors de cette période climatique appelée Dryas récent, de nombreuses espèces végétales et animales migrent plus au sud. Dans les quelques régions de Scandinavie libérées par les glaces – le Danemark et l’extrême-sud de la Suède – il ne reste plus que de la toundra, à part dans l’ouest du Danemark où subsistent des forêts de bouleau. Les élans, ainsi que les ours et les castors qui s’étaient installés en Scandinavie retournent en Europe centrale chercher des températures plus clémentes. Les rennes et les loups, adaptés à ces climats froids, résistent. Et nos humains dans tout ça ? Nos groupes des cultures Federmesser et Bromme subissent le refroidissement et disparaissent progressivement. Mais d’autres groupes d’humains, au mode de vie mieux adapté aux nouvelles conditions, vont bientôt investir le territoire : les Ahrensburg.

Colonisation de la Scandinavie

La culture Ahrensburg apparaît vers – 11 000 dans le froid de la plaine nord-européenne. Au bout de quelques siècles, les températures commencent doucement à remonter et la culture Ahrensburg s’installe dans le sud de la Scandinavie. Les Ahrensburg semblent avoir été avant tout des chasseurs de rennes, comme les Hambourg, autre peuple de climat froid qui avaient été les premiers à s’installer en Scandinavie. Il semblerait qu’il n’y ait pas de continuité entre les différentes cultures qui se sont succédées en Scandinavie : Hambourg, puis Federmesser et Bromme, puis Ahrensburg. Cela serait plutôt des groupes différents qui seraient entrés et sortis de Scandinavie, selon les conditions climatiques.

La culture Ahrensburg va avoir un impact considérable sur le peuplement de la Scandinavie lors des prochains millénaires. Elle donne tout d’abord naissance dans l’ouest de la Suède à la culture Hensbacka qui est plus orientée vers la mer. L’expansion terrestre des Hensbacka est bloquée vers l’Est par le lac proglaciaire arctique, vers l’Ouest par un bras de la mer du Nord et vers le Nord par la calotte glaciaire. Ne se laissant pas limiter par la géographie et à l’aide de bateaux, certains groupes s’installent dans les nombreuses îles du littoral suédois. Le territoire scandinave est déjà propice aux déplacements en bateau, ce que les futurs vikings développeront avec brio.

Puis tout s’accélère, quand vers -10 000, ils s’installent par voie maritime dans le Sud-Ouest de la Norvège. Ils s’étendent ensuite rapidement le long de la côte norvégienne libérée des glaces depuis plus de 4000 ans, mais accessible uniquement par voie maritime. Cela donne naissance à une culture que l’on appelle Fosna. Puis, en seulement quelques siècles, vers – 9 500, leurs descendants atteignent l’extrémité nord de la Norvège. Soit une distance maritime de 2 250 kilomètres depuis le sud-ouest de la Suède, colonisée en 500 ans, ce qui est très rapide en comparaison avec les 3 000 ans où seul le sud de la Scandinavie était habité. Cette culture installée au nord de la Norvège, que l’on appelle culture Komsa, sera l’autrice, 2000 ans plus tard, de la plus ancienne trace retrouvée d’art rupestre de tout le nord de l’Europe, avec la pierre de Dyreberget représentant divers animaux enchevêtrés : rennes, élans, ours et orques.

En résumé, nous avons maintenant quatre cultures différentes en Scandinavie, chacune originaire de la précédente : les Ahrensburg au Danemark, les Hensbacka dans l’Ouest de la Suède, les Fosna dans le Sud-Ouest de la Norvège et les Komsa dans l’extrême Nord de la Norvège.

Ces nouvelles cultures installées plus au nord diffèrent des précédentes de par leur moyen de déplacement. Les Ahrensburg restés au Sud ont colonisé leur territoire par voie terrestre, de la même manière que toutes les cultures qui les ont précédés : Hambourg, Bromme et Federmesser. Les Hensbacka et leurs rejetons les Fosna et Komsa ont colonisé leurs territoires en partie par voie maritime, dépassant parfois des régions glacées pour s’installer sur des rivages libérés par les glaces mais dont l’accès terrestre était bloqué par la calotte glaciaire (Manninen et al., 2021).

Les Scandinaves du paléolithique

En ce qui concerne le mode de vie et d’alimentation, on suit un schéma similaire. Les Hensbacka/Fosna/Komsa se nourrissaient principalement de ressources maritimes tandis que les Ahrensburg vivaient a priori essentiellement de la chasse de gros gibier : principalement de rennes et peut-être de quelques mammouths rescapés. Cependant, il n’est pas impossible que ces conclusions soient biaisées par les découvertes et non-découvertes archéologiques. En effet, les vestiges des sites des Ahrensburg sont uniquement situés dans les terres, aux carrefours des routes migratoires des rennes, mais ils semblent n’avoir été utilisés que de façon saisonnière, principalement en automne. Où étaient-ils le reste de l’année ? Il est fort probable qu’ils aient été installés le long des côtes, mais cette hypothèse n’a pour l’instant pas pu être confirmée par l’archéologie car, l’eau ayant gagné du terrain sur la terre au Danemark, ces potentiels sites côtiers seraient aujourd’hui sous une centaine de mètres d’eau. Seule l’archéologie sous-marine permettrait de répondre un jour à cette question.

Pour celles et ceux qui sont partis plus au nord, les Hensbacka, Fosna et Komsa, il semblerait que ces cultures héritières des Ahrensburg soient principalement côtières. Le rebond post-glaciaire ayant été plus fort que la montée des eaux, les sites côtiers de ces époques sont quelques dizaines de mètres au-dessus de la mer et ont donc pu être fouillés. Bien qu’ayant un régime alimentaire surtout lié à la pêche, ils ont rapidement diversifié leur alimentation au bout de quelques générations en chassant des rennes dans l’intérieur des terres.

Enfin, plusieurs caractéristiques communes rassemblent toutes ces cultures. Étant issus d’une même population, ils ont des trains physiques similaires : d’après leur ADN, leur peau et leurs cheveux sont foncés et leurs yeux sont bleus (Hanel & Carlberg, 2020). Ils sont plutôt petits, comme les autres humains de la fin du paléolithique : en moyenne 1m53 pour les femmes et 1m66 pour les hommes. C’est 10 centimètres de moins que leurs ancêtres fins et élancés d’avant l’âge de glace ! Malheureusement, cette baisse spectaculaire de la taille humaine n’est pas encore complètement expliquée (Formicola & Giannecchini, 1999) (Cox et al., 2019). Ils vivent dans des campements éphémères spécialisés qui peuvent être des sites de travail du silex, des emplacements temporaires de chasse, des campements domestiques en hauteur ou sur les berges des lacs. Assez peu portés sur l’art et l’ornementation, ils s’équipent de pierres taillées de façon simple et utilitaire et d’outils en os et bois de rennes qui leur permettent d’exploiter les sources abondantes de nourriture terrestre et maritime.

Direction le mésolithique et l’holocène !

Avant de terminer cet épisode, revenons quelques siècles en arrière, au début de la folle aventure de la colonisation du nord de la Norvège par les Komsa. Vers -9 700, le millénaire froid du Dryas récent se termine et les températures reprennent leur croissance, de façon très rapide, ce qui va radicalement changer la vie des humains de cette époque et de celles à venir. Cet âge de glace est définitivement terminé. Cette date marque un tournant dans la façon dont nous séparons l’histoire en périodes distinctes. L’époque géologique passe du pléistocène à l’holocène, étymologiquement “la nouvelle époque” et la période archéologique du paléolithique au mésolithique, soit de l’âge de l’ancienne pierre à l’âge moyen de la pierre. Il y a un avant et un après -9 700. Avec la montée des températures, la toundra monte vers le nord, tout comme les grands troupeaux de rennes. Au sud de la Scandinavie, ces espèces sont de nouveau remplacées par des arbres et une faune différente. Nos humains des cultures issues du grand froid vont-ils s’adapter aux conditions naissantes du mésolithique ? Et dans l’extrême-nord de la Norvège, alors que les Komsa colonisent le territoire, ils vont bientôt voir arriver de l’Est une population très différente venue de Sibérie. Comment vont-ils cohabiter ?

C’est la fin de cet épisode 2 de La Dent Bleue : “À la conquête du Grand Nord” ! Dans le prochain épisode, nous découvrirons le mythe de la création du monde pour les Scandinaves de l’époque viking et nous nous demanderons si un lointain souvenir des événements abordés dans cet épisode pourrait avoir inspiré ce mythe. Nous reprendrons la suite de notre narration historique dans l’épisode 4.

Jingle de fin au volume croissant

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C’était Maxime Courtoison pour le podcast La Dent Bleue, l’histoire des vikings. Merci pour votre écoute et à bientôt pour un nouvel épisode !

Bibliographie complète

Sources principales :

  • Douglas Price, T. (2015). Ancient Scandinavia : An archaeological history from the first humans to the Vikings. Oxford University Press.
  • Helle, K. (2008). Introduction. In K. Helle (Éd.), The Cambridge History of Scandinavia Volume I Prehistory to 1520 (p. 1‑12). Cambridge University Press.
  • Manninen, M. A. et al. (2021). First encounters in the north : Cultural diversity and gene flow in Early Mesolithic Scandinavia. Antiquity, 95(380), 310‑328. https://doi.org/10.15184/aqy.2020.252
  • Posth, C. et al. (2023). Palaeogenomics of Upper Palaeolithic to Neolithic European hunter-gatherers. Nature, 615, 117‑126. https://doi.org/10.1038/s41586-023-05726-0

Sources supplémentaires :

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Crédits

Musique de générique : « Heavy Interlude » de Kevin MacLeod. ( http://incompetech.com/music/royalty-free/index.html?isrc=USUAN1100515 ). Licence Creative Commons Attribution 4.0.

Autres musiques et effets sonores :

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